Certains voudraient croire que le sens de l’Histoire est irréversible, et que les combats pour l’environnement et pour un traitement équitable au travail des femmes et des gens issus de la diversité finissent par l’emporter partout. Ils aiment à penser que de plus en plus d’entreprises, d’administrations, d’institutions, d’universités, de lois, assureront bientôt, dans tous les pays, un équilibre harmonieux dans les recrutements et une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
De fait, depuis les années 70, les universités américaines ont imposé des quotas d’étudiants selon leurs origines ; En France, beaucoup a été fait plus récemment pour que les jeunes issus des banlieues soient admis dans les meilleures universités et grandes écoles. Dans de nombreux pays, des lois ont imposé un rapprochement des salaires, à poste égal, entre les hommes et les femmes, et exigé que les conseils d’administrations, comme les comités exécutifs, soient paritaires. Et beaucoup a été fait pour prendre en compte les enjeux de l’environnement et de la biodiversité.
Cependant, depuis peu, d’une façon d’abord souterraine, puis ouverte, un mouvement inverse de grande ampleur a commencé : aux Etats-Unis, une décision de la Cour Suprême du 29 juin 2023 (à propos de Harvard et de l’Université de la Caroline du Nord) a mis fin à l’obligation de discrimination positive dans les universités, ce qui a encouragé les entreprises américaines à ne plus en tenir compte, elles non plus, dans leurs recrutements. Un peu plus tard, un des principaux conseillers de Donald Trump, Stephen Miller, a entrepris, avec son groupe, America First Legal Group, une campagne virulente contre toute entreprise ou institution donnant une priorité aux femmes ou aux non-blancs, soutenant qu’une entreprise n’a pas d’autre mission que de générer un profit maximal pour ses actionnaires ; ils ont lancé des campagnes de boycott de ces entreprises qualifiées de « antiblanches », et de leur produits dénigrés comme « woke », injure suprême pour ces gens-là. Puis ils ont, sur les mêmes motifs, intenté des procès contre IBM, Pfizer et Morgan Stanley.
Devant ces menaces, plusieurs entreprises, telles que Ford, Harley Davidson, Deer, Boeing, Black et Decker, viennent de renoncer subrepticement à leurs politiques de diversité. Très récemment, Walmart s’est retiré du The Human Rights Campaign Corporate Equality Index, et a décidé de ne pas renouveler une pratique établie après l’assassinat de George Floyd en 2020 donnant une priorité à ses fournisseurs afro-américains. Et la plupart des grands fonds d’investissements américains ne font même plus semblant de s’intéresser aux exigences de l’environnement.
Plus généralement se développe une attaque très violente et globale contre ce que ces mouvements nomment le « capitalisme woke », ou « capitalisme de gauche », qui incarne, selon eux, une trahison des valeurs fondamentales des Etats Unis et des principes de sa Constitution.
Tout cela au moment où le sort mondial des femmes est plus que jamais tragique, et que les faits les plus récents, comme les événements de Floride, de Valence ou de Mayotte rendent plus évidents que jamais l’importance de réduire les émissions de gaz à effet de serre et, pour les démocraties, l’importance de rester des modèles exemplaires pour le reste du monde.
L’Union européenne, qui s’applique à mettre en œuvre une législation audacieuse pour favoriser la diversité des genres et des origines sociales, et pour mesurer les impacts environnementaux de toute production, risque de se retrouver une nouvelle fois en décalage avec les Etats-Unis et ses firmes mondiales. On entend d’ailleurs déjà les investisseurs du monde entier ironiser : « les Européens se suicident avec leurs réglementations, auxquelles leurs propres entreprises ne pourront pas répondre, laissant le champ libre aux très grandes firmes américaines, qui feront assez de profits dans les pays où il n’y aura aucune réglementation pour avoir les moyens de se plier aux réglementations européennes et d’y détruire leurs concurrents locaux ».
On peut alors craindre que, en Europe aussi, contrairement aux grands discours, et malgré des actions sincères de nombreuses entreprises, de quelques gouvernements et du Parlement européen, les enjeux de la diversité et de l’environnement soient de moins en moins pris au sérieux.
Pour l’éviter, il est urgent pour les Européens de simplifier leurs réglementations, pour rester concurrentiels, sans pour autant renoncer à leurs combats pour promouvoir l’économie de la vie, par des incitations plus que par des contraintes. Qui osera ?