Il est ironique et tragique à la fois de constater que, au moment où on autorise (comme en Allemagne), ou on parle d’autoriser (comme en France), la production et la consommation de cannabis récréatif, on voit se multiplier partout les interdictions de produire et de consommer le tabac.
La plus récente tentative en ce sens est celle, cette semaine, de la Grande-Bretagne, dont le gouvernement vient de déposer un projet de loi visant à interdire définitivement à toute personne née après 2009, c’est-à-dire ayant 15 ans aujourd’hui, le droit de consommer et d’acheter du tabac. Tout au long de sa vie. Ce qui revient à faire en sorte que (sauf marché noir), l’usage du tabac disparaisse dans ce pays avec la dernière personne née avant 2009.
De fait, en Grande Bretagne, le tabac est une cause essentielle de mortalité. C’est même la principale cause de mortalité évitable. Il est en effet responsable d’environ 80.000 décès par an ; il coûte au service de santé public (NHS) environ 20 milliards d’euros par an ; sans compter les coûts indirects ; enfin, 4 fumeurs anglais sur 5 ont commencé avant l’âge de 20 ans et restent dépendants jusqu’à la fin de leur vie.
L’opposition à ce projet est très sévère, en particulier dans le parti conservateur, qui craint d’y perdre quelques-uns des rares derniers soutiens dont il dispose encore avant les élections législatives prochaines. Et les opposants emploient dans cette campagne des arguments aussi intelligents que ceux de Boris Johnson qui ne trouve pas mieux à dire que de se prétendre scandalisé qu’on ose vouloir interdire de consommer les cigares, dont était si friand le grand Winston Churchill. Malgré ces oppositions si peu impressionnantes, ce projet de loi pourrait passer, avec l’appui des travaillistes.
Quelques autres pays sont plus en avance : si on exclue le Bhoutan et le Turkménistan, qui interdisent totalement l’usage du tabac, on trouve la Nouvelle-Zélande qui a fait voter, il y a deux ans, un texte interdisant la vente de cigarettes à toute personne née après 2008 (ce qu’un nouveau gouvernement à Auckland tente désormais de remettre en cause) ; et aussi, l’Australie, qui impose depuis 2012 que les emballages de cigarettes soient banalisés, qu’un paquet coûte plus de 30 € et que l’importation et l’usage de cigarettes électroniques soient interdits. Enfin, la Finlande en est presque parvenue à l’interdiction totale et absolue : par des prix très élevés, par l’interdiction des arômes différenciés, par la banalisation des paquets, et par l’extension de l’interdiction de fumer, très générale à l’intérieur, aux terrains de jeux ouverts et aux plages publiques. La France, (où le tabac fait des ravages : 75.000 morts par an pour un coût direct de 18 milliards et indirect de 120 milliards d’euros) est, une fois de plus, très en retard dans la prévention. Les paquets y sont chers mais les emballages ne sont pas banalisés. Le gouvernement français semble avoir la velléité nouvelle d’interdire l’usage des cigarettes électroniques à usage unique avant la fin de l’année 2024.
Il serait sans doute rationnel de mettre en œuvre toutes ces interdictions, si malheureusement nécessaires, avant de s’engager dans la voie de la légalisation d’autres formes de drogues, dont les effets ne sont pas moins nocifs.
Plus généralement, il est ahurissant à mes yeux de constater la frénésie avec laquelle l’humanité fabrique des produits de l’économie de la mort, alors qu’elle a tant de difficultés à se doter des moyens de l’économie de la vie (dont ceux de la santé, gravement endommagés par l’économie de la mort). Sauf à tout attendre en ce domaine comme dans d’autres (ce qui serait illusoire), des interdictions, sans doute faudrait-il en revenir à l’essentiel : créer les conditions pour que les entreprises de l’économie de la vie soient beaucoup plus rentables que celles de l’économie de la mort. Ce n’est pas si compliqué. Cela suppose juste un peu de réglementation et de fiscalité différenciée. Cela vaut autant pour le tabac que pour les énergies fossiles, la nourriture transformée, et bien d’autres secteurs.
Tout changerait vite. Mais qui le veut vraiment ? Qui osera s’attaquer aux lobbys de l’économie de la mort ?
Il est tard… Pensons-y avant qu’il ne soit trop tard.
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