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Par les temps qui courent, bien des gens sentent l’identité française menacée. Ils pensent, ou ils disent, que notre mode de vie et les fondements même de notre nation sont mis en péril ; selon certains par la mondialisation qui normaliserait tout, ou, pour d’autres, par les immigrés qui imposeraient leur culture, leur religion, leur mode de vie ; ou encore par des groupes sociaux autrefois minoritaires et soumis, et qui exigeraient désormais que la France obéissent à leurs valeurs ; ainsi certains sont terrifiés en pensant que les Américains, ou les Allemands, ou les femmes, ou les homosexuels, ou les Africains, ou les musulmans, vont bientôt imposer leurs valeurs et leurs droits aux autres, remettant en cause ce qu’ils pensent être l’identité française.
Ce sentiment n’est pas récent. Pendant longtemps, les Français ont craint, souvent à juste titre, d’être envahis ou dominés militairement par une nation qui viendrait les soumettre. On l’a tour à tour redouté des Anglais, puis des Allemands, des Soviétiques, et il n’y a pas longtemps encore, on parlait du « péril chinois »
Puis, la crainte est devenue plus économique et culturelle : Dans les années soixante, ce dont on ne voulait pas c’est d’une France où on ne parlerait que l’anglais, où les principales entreprises ne seraient plus que des filiales d’entreprises américaines, où on ne verrait plus que des films américains, et où ne mangerait plus que dans des fastfoods américains.
Aujourd’hui, ce que certains redoutent et dont personne ne veut, c’est une France où le déclin économique aurait détruit notre modèle social, où on ne parlerait plus le Français, où l’islam serait devenu la religion dominante, prosélyte et conquérante, où les restaurants ne seraient plus que des fastfoods halal et où seraient juxtaposées, indifférentes ou hostiles, des communautés ethniques.
On voit donc très bien ce dont on ne veut pas. Mais il est beaucoup moins facile de nommer ce qu’on veut.
Car, c’est quoi cette identité française à défendre? D’une façon fantasmée, on l’a longtemps décrite par l’image d’un village avec son clocher et sa mairie, des anciens jouant aux boules et des jeunes allant à l’école ou au travail ; seulement voilà, cela n’a jamais été cela et moins encore aujourd’hui.
Alors, qu’est-ce que l’identité française ? Qu’est ce qui est immuable, qu’est qui doit est défendu absolument? Une religion? Un mode de vie? Un rapport à l’argent? Une langue? Une cuisine? Un territoire ?
Une religion ? Le catholicisme n’est plus dominant depuis longtemps et il ne définit plus « la fille ainée de l’Eglise », où la laïcité est devenue la loi depuis un siècle. Un mode de vie ? Il a heureusement énormément changé depuis qu’il était soumis à des interdits religieux et culturels aujourd’hui considérés très majoritairement comme insupportables. Une cuisine ? Il y en a toujours eu des dizaines, inspirées de tout ce que le monde a porté. Un territoire ? Absolument, même si certains souhaitent encore s’en éloigner. Une langue ? Sans doute, mais sans cesse changeante, nourrie de mots, d’expressions, de tournures de phrase de règles de grammaire venues d’ailleurs, et qui font tous leur lit dans le fleuve commun.
Alors, la France, est, comme le fleuve d’Héraclite, sans cesse changeante, et sans cesse immuable…. Elle est avant tout une nation très rare, unique même, construite par un Etat puissant depuis plus de mille ans, à l’intérieur de frontières désormais stabilisées, dans une région du monde bénie des dieux, au climat tempéré, avec une terre fertile et un domaine maritime à presque nul autre pareil. Une nation unique, où chacun peut désormais vivre à sa façon en respectant des règles communes ; où on ne doit travailler et vivre en société qu’en français, même si la pratique annexe d’autres langues est chaudement recommandée ; une nation où on peut pratiquer comme on veut toute religion, ou aucune, à condition de ne l’imposer à personne et de ne pas remettre en cause, par cette pratique, les droits de l’homme, des femmes, des enfants et des minorités ; une nation où chacun qui y vit est tenu de respecter une laïcité exigeante, construite depuis des siècles ; une nation où la liberté de parole n’est limitée que par l’obligation de ne pas faire du mal à autrui.
Aucune autre nation du monde n’a de telles exigences pour ses citoyens. Aucune ne leur accorde autant de droits. C’est cela, l’identité française, le privilège français. Et ce n’est pas fini ; d’autres droits viendront ; si on sait maintenir son rang et se nourrir des combats à venir, sans détruire ce dont il a été question plus haut, qui est l’essentiel.
Au total, ce qui structure la société française, ce qui maintiendra ou fera disparaitre son identité, c’est le travail et l’innovation, qui protégeront notre niveau de vie et notre souveraineté ; et l’éducation, qui devrait expliquer sans cesse ces valeurs, ces droits, ces devoirs, ces privilèges ; et permettre à chacun de trouver qui il est et de s’épanouir, légitimement ; une nation où on ne parlerait plus de minorités opprimées, de communautés fermées, mais de personnes épanouies, fières d’être françaises, de « faire France ».
j@attali.com