La terrible accusation qui pèse sur Dominique Strauss-Kahn est l’occasion de se souvenir que notre société, devenue sans frontières, vit désormais dans quatre échelles de temps simultanées. Il en découle que des règles du jeu contradictoires s’entrechoquent, des calendriers distincts se chevauchent, des rythmes différents s’interpénètrent.
La première échelle de temps est celle du droit, de l’enquête policière et de la procédure judiciaire ; son rythme est à la discrétion des enquêteurs et des juges ; elle s’impose a priori à toutes les autres. La deuxième échelle de temps est celle de la politique ; elle obéit à un calendrier électoral précis, en général immuable. La troisième échelle de temps est celle des marchés et des medias ; elle obéit à l’exigence de la réponse immédiate, de la nouveauté permanente, de l’impatience et de la concurrence ; plus encore depuis l’apparition d’internet.
L’expérience démontre que l’échelle de temps le plus rapide impose sa loi aux autres : ainsi, les marchés et les médias imposent-ils leurs solutions aux autres espaces ; ils peuvent mettre à mal en quelques instants une réputation économique, politique et éthique construite tout au long d’une vie : la réalité d’un passé ne vaut plus rien comparée à l’apparence d’un présent.
Le temps des médias conduit alors à considérer que tout travers des politiques, même non démontré, mérite d’être dénoncé et les exclut de la vie publique ; cela conduit à rechercher des hommes de plus en plus parfaits, pour exercer des fonctions de moins en moins importantes, dans lesquels ils sont d’ailleurs de plus en plus aisément remplaçables. Les marchés sont les ultimes bénéficiaires de cette faillite du politique.
Dominique Strauss-Kahn est victime de ces contradictions : les médias veulent à son propos obtenir et donner des réponses immédiates à des questions que la justice mettra des mois à trancher, ce qui l’exclut des échéances politiques à venir. Et même s’il est un jour disculpé, sur le terrain judiciaire, du terrible crime dont on l’accuse, il aura déjà été condamné irréversiblement sur le terrain politique. Au détriment de la cause pour laquelle Dominique Strauss-Kahn s’est toujours battu : un Etat de droit planétaire ; une gouvernance mondiale démocratique et juste, maitrisant les marchés.
Cette tyrannie de l’immédiat se manifeste dans bien d’autres circonstances et explique très largement l’anarchie de la mondialisation. Ainsi, en matière financière, les exigences de réponses médiatiques sans cesse renouvelées conduit les politiques à négliger les solutions de fonds, à rejeter la mise en place du droit et des institutions judiciaires planétaires nécessaires, au profit des seules photos que permet le G20, pour le plus grand bénéfice, là encore, des marchés financiers.
Au-delà de ce chaos, une ultime échelle de temps vient toujours, à la fin, bousculer les trois autres et leur donner tout leur sens, dérisoire : celle de la maladie et de la mort. Le destin de l’homme c’est de l’oublier, pour ne penser qu’à agir à l’intérieur des autres espaces, sous la tyrannie de l’urgence. A moins qu’il ait l’audace de se projeter hors des routines, de penser le monde hors de tout calendrier, et de s’en tenir, avec entêtement, à ses rêves.