Cher ami,
Nous n’avons jamais voté de la même façon et pourtant je vous comprends très bien. Ou plutôt, je comprends ceux , qui comme vous, croient en la droite libérale.
Nous partageons bien des choses: l’amour de la France et de la démocratie. Nous croyons au droit des autres de penser autrement que nous. Nous partageons le plaisir de vivre dans un pays ouvert au monde. La passion d’un état de droit qui protège les plus faibles comme les plus forts. La passion pour le projet européen. Le désir de voir notre continent conserver sa première place dans le monde. Nous combattons ensemble contre les violations des droit de l’homme et contre toutes les théories conspirationnistes d’où qu’elles viennent. Nous aimons tous les deux le progrès des sciences, des techniques, des mœurs. Sans tabou ni dogme.
Bien des choses nous séparent: pour vous, rien ne passe avant la liberté individuelle, avant le mouvement, la compétition, le droit de faire fortune. Vous n’aimez pas, dans mes idées, mon désir de faire passer la lutte contre la pauvreté avant la protection des rentes ou même, lorsqu’elles sont excessives, des fortunes. Vous n’aimez pas non plus ma façon d’accepter de payer des impôts, même très élevés, en échange d’un des meilleurs systèmes de santé du monde, d’une sécurité inégalée et d’une infrastructure sans égale. Vous préférez qu’on aide ceux qui travaillent que ceux qui ne font rien, même s’ils ne demandent qu’à travailler.
J’avais parfaitement compris, au regard de vos valeurs, que vous votiez pour Nicolas Sarkozy en 2007. Et je pouvais comprendre, même si vous étiez déçu, que vous revotiez pour lui en 2012. Il avait réussi quelques réformes et il s’était nettement démarqué de l’extrême droite. Je pouvais le comprendre jusqu’à ce que, il y a maintenant six mois, il soit parti dans une dérive qui le rapproche chaque jour d’avantage de l’extrême droite.
Tout pourtant aurait dû être visible dans son absence totale d’initiative pour faire progresser l’intégration européenne, pour construire une force industrielle et militaire européenne, dans son refus de toute stratégie industrielle, et dans son mépris des pays du Sud, de l’Inde visitée en quelques heures à l’Afrique subsaharienne à qui il a dit, un jour, tout son mépris. Mais tout aurait dû devenir pour vous intolérable quand il approuva le décret scélérat chassant de France les jeunes étrangers diplômés d’universités françaises: ne pas admettre les diplômés étrangers c’est contraire à vos valeurs, mais aussi à vos intérêts. 40% des 500 premières entreprises américaines ont été crées par des étrangers ou des fils d’étrangers.
Alors, vous n’avez pas protesté. Mais aujourd’hui? Comment pouvez-vous continuer à soutenir quelqu’un qui fait l’apologie de la restauration de toutes les frontières entre les nations; qui veut en particulier remettre en cause les accords de Schengen? Vous savez bien, selon les principes mêmes que vous défendez, que revenir sur la libre circulation des personnes en Europe conduirait à remettre en cause celles des biens et des services et celles des capitaux, qui vous sont si chères. C’est inévitablement faire exploser l’euro, et, peu à peu, fermer les frontières françaises, pour décliner irréversiblement.
Plus encore, comment pouvez-vous continuer à voter pour quelqu’un qui est prêt à accorder la présomption de légitime défense à un homme qui a tiré quatre balles dans le dos d ‘un autre, sous prétexte que le tireur portait un uniforme?
Comment pouvez-vous encore voter pour quelqu’un qui renie tous vos principes juste pour être élu, sans se rendre compte qu’il ne fait ainsi que renforcer un parti nationaliste, autoritaire et xénophobe, ce que vous n’êtes pas?
Comment pouvez-vous, en définitive, voter pour quelqu’un qui aura fait plus en six mois pour le renforcement du Front National que Jean Marie Le Pen lui-même en trente ans?
J’entends bien votre dernier argument: « Je ne l’aime pas, je ne veux pas de lui, je déteste cette droite, qui n’est pas la mienne, mais je suis obligé de voter pour lui pour éviter qu’après sa défaite l’extrême droite ne prenne le pouvoir dans la droite et que, après l’échec de la gauche, madame Le Pen préside la République ». Cet argument, cher ami, ce dernier argument, me semble infondé: si Nicolas Sarkozy est battu, la droite libérale, votre droite, se reprendra; elle aura compris que reprendre les thèses de l’extrême droite ne sert que cette extrême droite et ne peut que la faire disparaître. Elle redeviendra la droite libérale, famille politique respectable et moderne, essentielle à la vie politique française. Et elle gagnera, un jour , de nouvelles élections. A condition de ne pas avoir, avant, perdu son âme.