Vous avez le sentiment qu’on a tout essayé, que les partis qui se sont succédés au pouvoir depuis des décennies n’ont pas réussi à empêcher ce que vous nommez le déclin du pays. Vous souffrez de l’insécurité, de la présence que vous pensez excessive d’étrangers, vous ne supportez plus l’arrogance des dirigeants d’aujourd’hui et la faiblesse de ceux d’hier. Vous pensez qu’il faut essayer le seul parti qui n’a jamais encore exercé le pouvoir et qu’on traite injustement selon vous, « d’extrême droite ».

Certains d’entre vous sont des ouvriers, des commerçants, des paysans, des cadres, des enseignants. Certains sont aussi des chefs d’entreprise ou des financiers de haut vol.

Ce qui vous unit, au fond, c’est le sentiment que la France n’est plus la France, qu’elle est pervertie par ce qui n’est pas son identité profonde, qui se résume à une foi, à une Histoire, à un territoire. C’est aussi la colère contre tous ceux qui vous semblent être des parvenus, des imposteurs, qui ne cherchent, pensez-vous, qu’à s’enrichir au dépend des petites gens, et qui ont pris, selon vous, tous les postes, ou qui aspirent à le faire.

Et, plus que tout, ce qui vous unit c’est la colère contre tous ceux qui, selon vous, ne pensent qu’à dévoyer l’identité française, en y tolérant d’autres langues, d’autres cultures, d’autres mœurs, d’autres façons de se vêtir et de croire. Et, pire encore, vous pensez que ces gens voudront imposer en France, à vous et à vos enfants, leurs mœurs, leur foi, pour remplacer l’identité française par une autre, venue de nos anciennes colonies.

Si tout cela était vrai, je serais aussi en colère que vous, et je combattrai à vos cotés. Seulement voilà, je ne pense pas que cela soit vrai.

Je ne tenterai pas de vous convaincre par des statistiques, ou des polémiques. Seulement par quelques raisonnements. En essayant de me mettre à votre place.

La France est un des plus beaux pays du monde. Elle est enviée par le monde entier. Elle a un des meilleurs systèmes de protection sociale du monde, parmi les meilleures infrastructures routières, ferroviaires, universitaires. Elle est en pointe dans un très grand nombre de secteurs d’avenir, du spatial à la biogénétique, de l’intelligence artificielle au quantum computing. Elle reçoit le plus grand nombre de touristes au monde, le plus grand nombre d’investissements étrangers en Europe. Le chômage y est au plus bas. Il est plus facile que jamais d’inventer, de créer son entreprise et des centaines de milliers de jeunes français le font tous les ans. La France est considérée par tous les étrangers comme un des pays les plus heureux, que seuls ses habitants détestent.

Elle a aussi le meilleur système d’intégration des étrangers au monde ; elle porte d’ailleurs le nom d’un peuple étranger. Elle s’est construite en intégrant des peuples étrangers, des Francs aux Arvernes, des Bourguignons aux Bretons, venus avec leurs territoires, plus ou moins volontairement ; puis d’autres, qui ont choisi  de venir en France, en quittant tout : polonais, italiens, maghrébins, chrétiens, juifs, musulmans, qui sont presque tous devenus des Français de grande qualité ; qui apportent énormément à ceux qui étaient là avant eux ; qui, avant d’accéder eux-mêmes aux plus belles études, veulent bien remplir les tâches que bien des Français de plus longue date ne veulent plus faire ; et, qui, par leurs cotisations, financent les retraites de tous, condamnées à devenir dérisoires sans eux.

Certes, il y a des exceptions, qui ne représentent pas plus d’un ou deux pour cent du total de ces étrangers et moins encore de leurs enfants ; en particulier, grâce à la construction depuis plus de cent ans d’un système unique au monde, incroyablement protecteur de notre identité : la laïcité, et toutes les lois qui l’ont précisé, de 1905 à 2024 en passant par celle de 2004.

Enfin, au moment où tant d’enjeux géopolitiques et écologiques nous attendent, serait-il raisonnable de confier le pouvoir à un parti qui a pris jusqu’ici largement ses ordres à Moscou, qui veut mettre fin à une large partie de nos énergies renouvelables et nous inciter à continuer d’utiliser les voitures les plus polluantes ? Et qui veut commencer à distinguer entre ceux qui seraient de bons citoyens et les autres ? Non, évidemment.

Certes, il reste beaucoup à faire. Pour mieux intégrer les étrangers dont nous avons besoin, pour punir ceux qui violent les lois, pour donner davantage de chance à chacun, pour réduire les injustices, pour renouveler un personnel politique à bout de souffle. Cela ne se fera pas dans la peur, ni dans la nostalgie. On ne reviendra pas à la France d’avant. Elle était beaucoup moins bien que celle qui s’annonce. Les périodes les plus sombres de son Histoire sont toujours arrivées quand elle s’est mise à regretter son passé. Votez contre le pouvoir, si vous voulez ; je vous comprends. Mais ne votez pas contre vous-même.

La France n’a jamais été grande que lors qu’elle a regardé devant pour penser son avenir.

j@attali.com

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