On va sans doute réussir à passer à coté de la catastrophe. Après avoir résisté si longtemps, pour plaire aux lobbys bancaires, on va mettre en place, avec beaucoup de retard les instruments minimaux pour résister un temps à la crise. Sans rien régler au fond, parce qu’on ne se sera pas attaqué à la racine des problèmes, qui est l’absence d’un état de droit mondial.
Pour ce qui est de l’Europe, ce premier acte salvateur minimal posera les premiers fondements de ce qu’on aurait du faire depuis le début de cette crise : amorcer le mouvement vers la création des instruments d’un fédéralisme budgétaire.
Un tel fédéralisme est absolument nécessaire. Il est une question de survie. Et pour ma part j’y suis favorable, depuis longtemps, sous sa forme la plus élaborée : l’eurozone reçoit une recette fiscale autonome, qui lui permet d’emprunter, pour investir et reprendre une partie de la dette de chaque état membre, qui doivent, en échange, maîtriser leurs déficits ou se voir imposer cette maîtrise, s’ils sont incapables de la décider par eux-mêmes.
Mais dans l’état actuel de déséquilibre politique de l’Europe, un tel fédéralisme ne fera que donner aux pays les moins endettés le pouvoir de contrôler les déficits de ceux qui le sont un peu plus.
Le risque est grand qu’alors cette Europe-là choisisse de réduire la fiscalité du capital et de rechercher les économies nécessaires dans les seuls domaines où triomphe encore le désir de justice sociale ; par exemple en généralisant, sous prétexte d’économies de dépenses publiques, l’actuel usage hypocrite, en Allemagne, de la directive Bolkestein, lui permettant de faire travailler des Polonais en Allemagne au tarif polonais. Le fédéralisme budgétaire conduirait alors à harmoniser le droit social sur le moins disant européen.
Si on va dans cette direction, la défense de l’euro aura entrainé le démantèlement des modèles sociaux des pays les plus avancés, pour le seul avantage de l’industrie financière. Ce serait évidemment un désastre.
Pour éviter cet engrenage, contraire à la logique de l’Europe et absolument pas nécessaire à la survie de l’euro, il faut dès maintenant compléter le projet de fédéralisme budgétaire par celui d’un fédéralisme social, qui ajusterait le modèle social vers le haut.
Malheureusement, dans les circonstances actuelles, les gouvernements ne le proposeront pas. Et on attendra qu’un jour les peuples rejettent toute la construction européenne pour y penser. Il sera alors trop tard.
Pour l’éviter, les peuples devront s’en mêler tout de suite. On pourrait imaginer pour cela qu’ils utilisent l’article 11 du traité de Lisbonne, qui rentrera en vigueur le 1er janvier 2012 et qui prévoit que « des citoyens de l’Union [européenne], au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’Etats membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission Européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités ».
Alors, imaginons, sans rêver, que plus d’un million de personnes signent le texte suivant : « Nous, citoyens de l’Union Européenne, demandons à la Commission de préparer dès maintenant, dans le cadre de la réforme des processus budgétaires, une réforme visant à l’alignement progressif de chacun des droits sociaux des citoyens de l’Union, sur le droit des pays où les protections sont les plus favorables aux salariés ».
Un tel mouvement n’aurait sans doute aucun impact juridique, mais il changerait tout politiquement. Les peuples, enfin, comprendraient qu’ils peuvent, s’ils sont sérieux, imposer leurs priorités aux marchés.