Deux mouvements de fond, apparemment sans rapport, se conjuguent aujourd’hui en France.
D’une part, un nombre croissant de jeunes Français, diplômés ou non, quittent le pays. Pour faire des études, pour travailler à l’étranger ; et, désormais, la plupart le font sans idée de retour ; sans plus aucun sentiment de devoir quelque chose au pays qui leur a donné une culture, et a financé leur éducation, leur santé, leur sécurité. Parce que seul compte désormais à leurs yeux leur destin personnel ; parce qu’ils ne ressentent plus aucune responsabilité à l’égard de la France ; et enfin parce qu’ils ne pensent plus pouvoir s’épanouir, dans un pays où plus du quart des jeunes sont au chômage, où l’initiative leur semble bridée, où les postes leur paraissent réservés à ceux qui ont des relations, et où le droit de réussir, et de faire fortune leur semble disparaître, sous les coups de la fiscalité et de la bureaucratie.
D’autre part, un nombre croissant d’autres jeunes Français, diplômés ou non, s’éloignent eux-aussi, du pays. Mais, eux sans en partir. Ils choisissent l’exil intérieur, vivant en France sans en accepter les règles ni la culture. Ils s’enferment dans des mouvements religieux, dans des sectes, dans des groupuscules, dans des langues autres que le français. Ils vivent en France comme dans un pays qui leur serait étranger, auquel rien ne les rattacherait, où ils ne se verraient aucun avenir ; sans racine ailleurs, ils s’inventent alors un pays imaginaire, lieu de leur exil, dont ils se voient comme une avant-garde.
Exil extérieur des jeunes partant chercher fortune à Londres ou à Shanghai. Exil intérieur de jeunes de banlieue, chômeurs au pied des HLM ou salafistes manifestant sur les Champs Elysées. Dans les deux cas, une jeunesse pleine de promesses perdue pour le pays.
Si cela continue, le pays perdra ainsi l’essentiel de ses forces vives. Le nomadisme réel et virtuel détruira la nation. Alors que ces mêmes jeunes, différemment orientés, pourraient très utilement créer en France des entreprises, des oeuvres d’art, et renouveler la classe politique du pays.
Pour y parvenir, il est urgent de redonner à tous les jeunes de ce pays le sentiment qu’ils y ont des droits et des devoirs.
Des droits parce qu’ils doivent recevoir de la nation les moyens de se former, de s’orienter, de créer des entreprises, sans privilèges pour les enfants des dirigeants ; même s’il faut pour cela mettre à contribution les autres générations, et en particulier les retraités : après tout, ce sont les jeunes qui garantissent, par leur travail, le paiement durable des pensions.
Des devoirs aussi, à l’égard du pays, parce que les générations précédentes ont financé leur jeunesse et qu’ils doivent rendre possible, par leur travail, celle de leurs propres enfants.
Pour réussir ce délicat équilibre, pour que le contrat social retrouve sa force, il appartient d’abord aux hommes politiques de redonner à la jeunesse des raisons d’être fier d’être français. Des raisons de croire que le pays est digne des attentes des générations à venir. Et pour cela, oser même aller plus loin, car l’Histoire le montre : un pays qui n’attire pas les étrangers ne pourra plus garder ses propres enfants.
Il faudra beaucoup d’audace pour repenser ainsi toutes les dimensions de notre politique nationale. Il en va pourtant de notre survie.
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