« Lisez, partout où il n’y aura rien écrit, que je vous aime »… A t-on jamais fait plus belle déclaration d’amour que cette dernière phrase d’une lettre de Denis Diderot à Sophie Volland, écrite le 10 juillet 1759, au tout début d’une relation qui allait durer jusqu’à sa mort, près de trente ans plus tard ?
La correspondance amoureuse, pan si essentiel de la littérature universelle, et qu’on croyait définitivement écartée depuis l’invention du téléphone, se retrouve en pleine lumière avec la publication de lettres de François Mitterrand.
Sans doute peut on d’ailleurs trouver de grandes similitudes entre les discours amoureux de ce très grand écrivain de la fin du 18eme siècle et ceux d’un grand président de la fin du 20eme siècle.
L’un et l’autre adoraient séduire. L’un et l’autre ont eu beaucoup d’aventures. L’un et l’autre sont restés liés, et respectueux, jusqu’à leur mort, avec leur compagne légitime, épousée très jeune . L’un et l’autre ont vécu , dans un présent parallèle, une magnifique et très longue histoire d’amour avec une de leurs conquêtes, dont ils étaient séparés par les conventions sociales et une grande différence d’âge. L’un et l’autre leur ont écrit des lettres innombrables, mémoires de leurs partages sensuels et chroniques de leurs activités sans elles.
L’un et l’autre n’ont pas su que, sans qu’ils l’aient souhaite, ces lettres allaient être dévoilées après leur mort, alors même qu’ils avaient soigneusement réfléchi à leur postérité et rédigé leur testament, sans y mentionner à aucun moment l’éventualité de la publication de leur correspondance ; et sans qu’on connaisse, dans les deux cas, les réponses de l’être aime.
Au delà du malaise de voir ainsi publié sans l’ accord de leurs auteurs , des textes aussi intimes, évidemment écrits dans le secret de l’alcôve, on ne peut que se réjouir de la mise à jour d’une dimension si essentielle de la personnalité de tels géants : leur romantisme, leur gentillesse, leur passion, leur désarroi devant les détours du cœur féminin. Cela nous éclaire aussi sur leur action, bien plus que le travail de leurs biographes : il suffit pour cela de mettre en parallèle le contenu de ces lettres avec ce qui leur arrive au moment où ils les écrivaient.
Cela s’inscrit aussi dans un contexte bien plus vaste, dans lequel les relations entre les sexes occupent de plus en plus de terrain en politique.
Aux États-Unis, un candidat bafoue les règles élémentaires des relations entre les sexes, les piétine, comme il le fera du monde s’il en avait un jour la charge. En France, certains veulent encore censurer le droit d’aimer.
En ces moments si durs et menaçants, ou les femmes tentent enfin de se faire respecter, il est réconfortant de voir ainsi rappeler, par un très grand écrivain et par le dernier des grands présidents français, parlant d’outre tombe, que nous sommes d’abord des êtres aimants ; et que rien n’est plus important dans la vie que d’aimer, de toutes les façons possibles, le plus passionnément possible.
Rien n’est plus jubilatoire que de voir affirmer qu’il n’y a pas d’amour sans respect, de soi et des autres. Enfin, et plus important encore, que rien ne vaut le bonheur d’aimer, même sans retour, même sans espoir de retour.
Dans la même lettre, particulièrement sublime, Denis Diderot écrit d’ailleurs à Sophie Volland, qu’il découvre à peine , ébloui, et qui lui manque déjà tant : » Ne serai-je pas assez récompensé si je vous ai montré combien je vous aime? »
Si les hommes politiques pouvaient parler ainsi aux peuples qu’ils rêvent de séduire, s’ils pouvaient les aimer d’une façon aussi désintéressée, aussi pure, la politique aurait une toute autre allure.