La publication du programme du parti socialiste est passée presque inaperçue : aucune voix discordante à gauche ; et presque aucune polémique à droite, sinon quelques critiques de principe. De même, le programme du front national n’a presque pas suscité de réaction de fond ; et quand la droite publiera ses propositions, on peut s’attendre à la même indifférence.
Cela ne signifie pas que ces programmes ne soient pas discutables : celui-ci du Front National, s’il était appliqué, enfermerait la France dans un tête à tête suicidaire ; celui du PS ne dit pas un mot sur la situation des chômeurs, la fragilité des banques privées, l’effondrement de la compétitivité de l’industrie, l’inévitable augmentation de la pression fiscale, les progrès nécessaires de l’intégration européenne, et sur bien d’autres sujets ; enfin, ce qui s’annonce à droite est une épouvantable course vers l’extrême, au détriment de toutes les valeurs fondatrices de la République.
Cela signifie d’abord que les Français savent que, de toute façon, en raison de l’endettement public, ces promesses ne seront pas tenues : ainsi de celles du programme du parti socialiste, qui suppose, selon ses propres calculs, une croissance du PIB de 2,5% par an dès 2012. Plus généralement, ils savent que l’Etat, pratiquement insolvable, n’aura pas les moyens de faire grand-chose, pendant de longues années : le quinquennat de Nicolas Sarkozy aura épuisé toutes les marges de manœuvre budgétaires. Ils savent encore que le président de la République a de moins en moins de pouvoirs et que l’essentiel des promesses des programmes sont de la compétence du Parlement, qui restera, ensuite, à élire. Ils savent enfin et surtout que l’Histoire s’accélère et que les enjeux à venir, nationaux et internationaux, sont totalement imprévisibles, rendant dérisoire tout programme.
Alors, comment choisir le futur président ? Au fond, la politique renvoie au patinage artistique : dans le concours que représentent les élections présidentielles, les programmes représentent les figures imposées. La campagne représente les figures libres ; elle permettra aux électeurs de juger si les candidats disposent des cinq qualités nécessaires à l’exercice de la fonction présidentielle :
- Se respecter soi-même et respecter la fonction : cela va de la façon dont le candidat s’habille à sa manière de se tenir en public, de manier la langue française, d’incarner le pays, dans sa grandeur et son histoire.
- Comprendre les mouvements profonds du pays, ses colères et ses aspirations ; anticiper l’évolution des mœurs, des technologies, et des rapports de forces mondiaux.
- Défendre contre vents et marées l’ensemble de valeurs démocratiques et les droits de l’homme, qui constituent l’identité réelle de la France.
- Inscrire son action dans le long terme, distinguer l’essentiel de l’accessoire et accepter, si nécessaire, d’être provisoirement impopulaire.
- Savoir réaliser des compromis entre des points de vue contradictoires, dans le pays et dans les négociations internationales, même au prix du renoncement à certains de ses objectifs partisans.
Comme dans le patinage artistique, pour que le jury, c’est-à-dire les électeurs, ne soit pas berné par des pacotilles, il faudra que la campagne présidentielle ne se réduise pas à un duel de pseudo gourous en communication et que les candidats soient forcés d’exprimer leurs vrais talents, de prendre le risque d’être eux-mêmes : seule comptera alors leur vérité.