La confusion la plus totale semble régner dans les partis politiques français sur la nature et l’urgence des réformes à mener ; et les lignes de clivages ne sont plus celles d’antan.
Pour le comprendre, il faut replacer ce débat dans un cadre plus vaste : partout dans le monde, on voit lentement bouger, dans la pratique des gouvernements, les frontières entre la gauche et la droite, sans que les partis, les doctrines et les programmes ne veuillent l’admettre : comme souvent, la pratique précède la doctrine et l’invente.
Certes, il y a toujours d’un côté les puissants et de l’autre les faibles ; d’un côté les riches et de l’autre les pauvres ; d’un côté ceux qui disent que les pauvres n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils le sont ; et de l’autre ceux qui soutiennent que l’avenir des pauvres passe par leur prise du pouvoir politique.
Malgré ces constantes universelles, on assiste partout, à d’étranges glissements de frontières : on voit, à droite, des gens proposer de renforcer l’État, au lieu de l’affaiblir ; et, à gauche, des gens proposer de démanteler les rentes, mêmes quand elles se dissimulent sous le nom d’ « avantages acquis ».
En Europe, en particulier, on sent bien qu’il y a des conservatismes dans les droites et dans les gauches ; qu’il y a dans les deux camps des gens qui pensent que c’était mieux avant et d’autres qui croient que le changement peut être porteur de mieux être.
Cette mutation s’explique très largement par l’apologie universelle de la liberté individuelle, qui détermine très largement les idéologies, comme les technologies ; et qui porte ravages et promesses. Auxquelles chacun réagit à sa façon.
De fait, une nouvelle dualité est en train d’apparaitre, qui ne remplace pas le clivage ancien, mais qui s’y superpose. Entre ceux qui veulent le mouvement et ceux qui préfèrent le statuquo. Entre les nomades et les sédentaires.
Selon cette grille de lecture, les rapprochements sont explosifs, de l’extrême gauche à l’extrême droite d’une part ; du centre gauche au centre droit d’autre part.
C’est d’abord vrai en matière de géopolitique, avec des peuples remettant en cause de plus en plus fréquemment les frontières des nations. C’est aussi vrai en matière de défense, où nous avons construit nos armées autour de la perspective d’avoir à combattre des nations, alors que nous affronterons de plus en plus des ennemis sans territoire. C’est aussi vrai en matière d’économie, où tout devient de plus en plus nomade, flexible, précaire, changeant.
On peut préférer hier à demain ; mais l’avenir l’emporte toujours sur le passé ; le sédentaire est toujours battu par le nomade, qui apporte le neuf ou qui part le chercher ailleurs, si on ne l’accueille pas.
Le choix d’avenir est donc d’encourager à prendre des risques, en y préparant les plus jeunes et en protégeant tous contre l’échec, plutôt que de tout faire pour éviter d’en prendre. Pour cela, l’État doit protéger et inciter ; plus de sécurité et plus de flexibilité : comme toujours, le ET est mieux que le OU. En particulier, il faut une politique industrielle tournée vers le soutien à la création d’entreprises et à l’innovation, plus qu’à la préservation de l’existant, en considérant la formation des chômeurs comme une activité socialement utile méritant rémunération.
C’est exactement ce à quoi on assiste déjà dans les social-démocraties les plus avancées, qui n’ont pas honte d’organiser à la fois des transferts sociaux considérables et la flexibilité de leur marché du travail ; pour libérer la croissance ; pour aider chacun à devenir soi, tout au long de sa vie.
C’est une tâche immense, qui suppose un État fort (en particulier en reprenant des missions imprudemment décentralisés) et beaucoup de dépenses publiques, (pour assurer l’égalité de tous devant l’éducation, la santé, le logement, l’accès à l’art, et à la famille) en même temps qu’une concurrence beaucoup plus grande et une flexibilité absolue. Le meilleur du libéralisme et de la social-démocratie.
Pourquoi s’en priver ? Parce que ce n’est pas politiquement correct ? Qui y perd ? Les partis, et tous ceux, qui, comme eux, vivent de rentes. C’est-à-dire tous ceux qui s’accrochent à leurs privilèges et abandonnent les jeunes générations. C’est parce qu’on n’a pas osé cela qu’on croit qu’il ne reste plus qu’à tomber dans les bras des extrêmes.