L’occident semble intimement convaincu que son siècle est fini ; que, pour lui, monde était mieux avant, quand il avait tous les pouvoirs. Au lieu de réagir face à cela en contrattaquant, en cherchant à reprendre l’initiative, en développant sa formidable culture, en étant fier de ses valeurs et en essayant de les inscrire dans la modernité, il ne fait que tenter de retarder son déclin qu’il pense inéluctable. Aussi est-il atteint de la maladie mortelle de toutes les civilisations moribondes : la procrastination.
Cette maladie est d’autant plus grave qu’elle s’est infiltrée partout ; du plus haut niveau des États, jusqu’au niveau le plus intime de nos vies.
Le Président des États-Unis procrastine en hésitant à attaquer la Syrie, en ne renvoyant pas de troupes en Irak face à Daesh, en ne faisant rien pour réduire les monstrueuses inégalités dans le pays ; en n’enrayant pas la machine à produire des prisonniers, des malades mentaux, des sans-abris, chaque jour plus nombreux ; en laissant la dette publique croitre plutôt que de s’employer à la réduire.
De même, l’Europe procrastine en ne prenant pas les décisions qui s’imposent pour sauver durablement la zone euro, (en créant un parlement propre à la zone, un budget et un trésor européen) et en ne partageant pas le fardeau et les opportunités que représenterait l’intégration des étrangers, comme le démontre la honteuse conduite des Européens à Vintimille.
La Grèce procrastine en refusant des réformes qu’elle sait pourtant inéluctable, puisqu’elle ne pourra continuer éternellement à réclamer aux autres Européens les moyens de maintenir un niveau de vie que son économie ne justifie pas ; et les autres Européens ne pourront éternellement lui refuser l’aide qu’exige la solidarité politique de l’Union.
L’exécutif français procrastine lui aussi en ne prenant pas les décisions difficiles qu’exigent la situation de l’emploi, de la défense nationale, de l’école maternelle, de la formation permanente, des institutions. Et il procrastine aussi, comme tous les autres dirigeants du pays avant lui, en laissant augmenter la dette publique plutôt que de décider de la réduire.
La plupart des villes procrastine en ne dédiant tous les efforts nécessaires à la réduction de leur impact sur l’environnement, et à la numérisation de leurs services.
Beaucoup d’entreprises procrastinent en ne prenant pas à temps les décisions qu’impose l’évolution à venir de la technologie et de la concurrence venue du reste du monde.
Nos sociétés civiles procrastinent en ne décidant pas clairement de la conduite à tenir face aux nouveaux enjeux que proposent la science, tels la survie en situation de coma dépassé ou le statut des enfants nés à l’étranger par GPA de parents français.
Chacun d’entre nous procrastine aussi, parfois, trop souvent, en prenant tout son temps pour décider de choisir sa vie, d’échapper à la routine, et à un destin préfabriqué. En refusant même de prévoir l’avenir, pour ne pas avoir à le choisir. En se résignant.
Certains trouvent même de bonnes raisons de faire l’apologie de la procrastination, d’en faire même une doctrine. Pour eux, elle est une vertu, car elle revient à prendre son temps pour prendre la meilleure décision possible, pour ne pas se laisser imposer sa décision par les autres, ou même, pour d’autres, se mettre en situation d’avoir à décider au dernier moment, pour être plus créatif, dans l’urgence.
Il n’est pas jusqu’aux marchés financiers qui n’y participent : si la dette publique est une mesure d’une partie de la procrastination, la faiblesse des taux d’intérêt indique l’indulgence du système financier à son égard.
A force de vouloir retarder un déclin qu’on croit inéluctable, on finira par le rendre irréversible, alors qu’il est loin de l’être.
Pourtant, au moment où le reste du monde va si vite et décide sans état d’âme, il ne faudrait surtout pas se complaire dans l’ indolence. L’occident et ses valeurs peuvent survivre. A condition de sortir de cette torpeur. De décider vite, en tout domaine, avec courage, à tous les niveaux de nos sociétés.
Mais pour que nos réponses ne soient pas aussi erratiques, pour que la vitesse ne soit pas de la précipitation, encore faudrait-il être capable de les inscrire dans un projet ; ainsi, le vrai refus de la procrastination, pour chacun de nous comme pour les dirigeants des entreprises et des nations, passe-t-il par une vision claire de l’avenir, pour soi et pour ceux qui dépendent de soi ; par l’acceptation du monde comme il est, par le choix d’une grille de lecture des évènements, d’un projet et d’une stratégie, qui permette de définir la conduite à tenir en toute circonstance.
Exercez-vous à décider plus vite. Faites aujourd’hui ce que vous espériez pouvoir retarder à demain. Ayez le courage de dire tout de suite « non » quand vous le pensez et « oui » seulement quand vous avez vraiment envie. Pour cela, méditez et agissez. Vous verrez : on se sent si bien…