La pire chose qui pouvait arriver à la France en ce moment est d’être au début d’une campagne présidentielle et d’avoir un président rééligible. Alors que l’Etat doit prendre des décisions extrêmement graves, les élites politiques vont s’entredéchirer pendant six mois sur des programmes chaque jour d’avantage dépassés par une situation en évolution très rapide.
La Constitution française donne pourtant, et c’est bien ainsi, en principe, tous les pouvoirs au Président de la République jusqu’au dernier jour de son mandat. Mais il ne peut l’exercer si le pays, ruiné, doit faire la manche ; et si les débats publics sont censurés par la menace des agences de notation.
Nous avons donc besoin de tout sauf d’un gouvernement faible dans ce semestre de tous les dangers. Et si nous n’étions pas si près d’élections majeures, il faudrait même décréter une pause dans les débats partisans, reconnaitre partager toutes les vérités et chercher ensemble des solutions.
Or, nous ne le faisons pas : en campagne, chacun critique l’autre, nul ne dit plus que sa vérité ; et les porteurs de mauvaises nouvelles sont considérés comme coupables de ce qu’ils annoncent ou comme de mauvais Français, parce qu’ils énoncent des faits insupportables.
Ainsi du débat sur la notation de la dette publique française : oui, la France a, dans les faits, perdu son triple A, personne ne peut le contester . Et si les agences ne le reconnaissent pas encore c’est sans doute parce qu’elles n’osent pas, pour le moment, influer sur la campagne électorale. En agissant ainsi, elles rendent en fait, une fois de plus, un mauvais service au pays, qui a besoin d’un électrochoc pour agir avant qu’il ne soit trop tard. Et ceux qui servent mal leur pays ne sont pas ceux qui le disent, sans pour autant s’en réjouir ; mais ceux qui refusent de prendre acte de cette triste réalité et de tout faire pour regagner au plus vite cette meilleure note ; par des économies budgétaires, des impôts nouveaux et surtout par des propositions audacieuses en vue de construire une Europe fédérale, seule voie d’issue positive.
On n’en prend pas le chemin. Et d’ici au mois de mai, bien des événements vont encore se passer. Y compris, si les dirigeants européens continuent de gérer aussi mal la situation, la fin de l’euro et la faillite de la France. Osons le dire : si l’on continue comme cela, la campagne présidentielle se jouera dans les derniers jours d’Avril 2012 sur la question : « La France ayant fait défaut, les banques françaises étant ruinées et l’euro étant condamné à disparaitre, faut-il rallier l’euro fort de l’Allemagne ou l’euro faible de l’Italie ? »
Veut-on vraiment en arriver là ?
En politique, il n’y a pas que des opinions ; il y aussi des faits. Les Français ont besoin de vérité, de pédagogie politique et d’unir leurs efforts pour traverser une crise terrible. La France en a tous les moyens, financiers, économiques et sociaux.
On se prend à rêver, pour y parvenir, à un impossible gouvernement d’union nationale. Ou à une encore moins possible démission du Président de la République pour accélérer les échéances. Et on se dit alors que la seule chose qui nous reste, c’est de dire la vérité aussi clairement que possible, comme s’il n’y avait pas de campagne, comme si tous nos efforts devaient etre tendus vers la recherche de la vérité, condition nécessaire de l’action utile.
Pour, au moins, comme l’écrivait si mystérieusement Karl Marx, dans les derniers mois de sa vie, à la fin de sa critique du programme social-démocrate allemand, « dixit et salvavi animam meam » : en parlant ainsi, au moins, je sauve mon âme.