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Quoi que l’Histoire retiendra, à la fin, des réformes accomplies lors de ce premier passage de la gauche au pouvoir en France depuis 1945, et quelles que soient les caricatures qui trainent encore sur ce qui fut réalisé pendant cette période, il est quelques leçons à tirer de cet épisode, qui méritent d’être rappelées. Elles expliquent très largement pourquoi la France d’aujourd’hui décline.
Contrairement à ce qu’on peut croire, ces leçons ne découlent pas des réformes entreprises par la gauche, mais bien de la façon de les préparer. Et la principale de ces leçons est simple : si on veut agir vraiment efficacement, en politique, et sans doute dans bien d’autres domaines, il vaut mieux y avoir beaucoup réfléchi à l’avance, et agir vite, profondément, totalement ; sans se laisser impressionner par les oppositions, sans même chercher à faire en sorte que les électeurs en soient reconnaissants à la prochaine échéance : Il faut les mener parce qu’on les croit utiles.
En France, en particulier, les hommes politiques arrivent rarement au pouvoir avec des programmes longuement débattus dans l’opposition, ni très détaillés ; et, s’ils le font, ils ont rarement le courage de le mettre en œuvre entièrement dès leur arrivée au pouvoir.
Cela ne s’est produit que trois fois depuis la Seconde Guerre Mondiale : en 1945, en 1958 et en 1981. Plus jamais après. Et c’est sans doute ce que le pays paie aujourd’hui.
Dans les trois cas, l’action a été rapide, fondée sur un programme de réformes longuement mûri. Mais, dans les trois cas, une fois au pouvoir, personne ne travaillait plus vraiment à penser à de nouvelles avancées que le pays pourrait réclamer ; tout se passait alors comme si on pensait que le train de réformes dont on était porteur était suffisant pour un siècle. Naturellement, il n’en fut rien ; et dans les trois cas, les réformateurs d’un moment se sont vite retrouvés rangés dans le camp des conservateurs, ou au moins, des inactifs.
En 1981, en particulier, la gauche, en arrivant au pouvoir, bénéficia de sa longue opposition, qui lui avait permis, à travers mille luttes et mille débats, d’accumuler un très grand nombre de projets, de les mûrir, d’éliminer ceux qui ne méritaient pas d’être retenus, de modérer l’enthousiasme de ses partisans, de se confronter à des critiques utiles, de préparer les réformes jusque dans les moindres détails ; et de les mener ensuite en moins de six mois. Sans se préoccuper de leur acceptation par l’opinion, qui déclinait d’ailleurs de jour en jour.
Pendant ce temps, tout occupés à occuper des postes, à gérer, à réaliser des réformes, les partis de la coalition au pouvoir, comme les syndicats, ne prirent plus le temps de penser à de nouvelles avancées, ni d’entendre les revendications de nouvelles conquêtes sociales, économiques ou démocratiques. Et c’est à tort qu’on a reproché à la gauche arrivée au pouvoir en 1981 d’avoir viré à droite deux ans plus tard et remis en cause ses propres reformes : aucune des réformes de structures n’a été remise en cause par la gauche ; et il n’y eut, en 1983, contrairement à la légende, ni tournant à droite (jamais envisagé) ni tournant à gauche (qui faillit se produire). Sinon que, quand le moment de nouvelles élections approcha, faute d’avoir pensé à de nouvelles réformes, les partis de gouvernement furent vides, sans projet, sans ambition. Il n’y eut pas de tournant. Juste un arrêt.
Depuis lors, faute d’une longue maturation dans l’opposition, aucun des dirigeants dont la France s’est dotée, de droite comme de gauche, n’est arrivé au pouvoir avec un ensemble de réformes majeures à conduire. Et à conduire vite. Les partis, les syndicats, les laboratoires d’idées, les clubs, n’ont pas produit le corpus nécessaire. De plus, les échéances quinquennales ne laissent à personne le temps de penser, de construire un tel programme. Aussi se focalise-t-on sur la tactique, l’image, et la personnalité des candidats. Et, depuis tant de décennies, et quelles que soient les qualités des hommes et des femmes qui se sont succédés dans les palais nationaux, aucune des réformes majeures dont le pays a besoin n’a pu être pensée, conceptualisée, et moins encore mise en œuvre. En particulier, rien n’a été fait de radical pour rendre l’Etat plus efficace, pour redynamiser notre industrie, pour moderniser notre éducation, pour protéger notre environnement, pour réduire les injustices sociales et territoriales, pour donner les moyens à la recherche d’innover autant que nos voisins.
Le pays le sent bien, qui rêve, une fois de plus, d’un Grand Soir : il serait aussi vain que désastreux s’il n’est pas longuement, sagement, mûri et préparé…
j@attali.com