Chacun le sait, le Parlement français contient trop de fonctionnaires et pas assez de salariés du secteur privé. Dans la législature actuelle, 55% des députés sont issus du secteur public (au sens large, car on y compte non seulement des professeurs, mais aussi de plus en plus de fonctionnaires territoriaux, d’attachés parlementaires et d’administrateurs des assemblées). A l’inverse, s’il demeure parmi eux encore beaucoup d’avocats et de médecins, qui furent longtemps majoritaires au Parlement, seuls 15 % des élus sont des cadres ou des ingénieurs du secteur privé; et on ne compte aucun ouvrier à l’Assemblée. Aucun.
Cette composition a évidemment des conséquences sur la nature des lois votées : elles marquent une très grande ignorance des réalités de l’entreprise et, en particulier, des nécessités pratiques de leur mise en œuvre, accumulant norme sur norme, contrainte sur contrainte, jusqu’à devenir inapplicables. Cela a aussi un impact sur la composition des gouvernements et la nature des décisions qui y sont prises ; au point qu’on en vient à s’extasier d’entendre un Premier ministre dire son amour de l’entreprise, déclaration qui devrait sembler banale dans tout pays équilibré.
A titre de comparaison, au Royaume-Uni, 24% des parlementaires sont des cadres du secteur privé ou des chefs d’entreprise, 10% sont des fonctionnaires et enseignants, et 4%, des ouvriers. La raison de cette distorsion est connue : en France, les parlementaires venant de la fonction publique bénéficient du système de « détachement », qui permet à un fonctionnaire exerçant un mandat électif de continuer à bénéficier de son droit à l’avancement dans son corps d’origine, ainsi que de ses droits à la retraite, durant la durée du mandat. Cela s’ajoute à la garantie de retrouver un poste en cas de défaite aux élections. Les avocats et les médecins, eux, peuvent continuer à exercer leur métier pendant leur mandat électif. A l’inverse, les rares députés issus du secteur privé doivent quitter leur emploi dès qu’ils deviennent parlementaires et, quand ils cessent de l’être, ne bénéficient que de l’allocation-chômage des députés. Celle-ci peut durer jusqu’à six semestres, mais est fortement dégressive (100 % de l’indemnité de base pour le 1er semestre, puis 70% le 2e, 50% le 3e, 40% le 4e, 30% le 5e et 20% le dernier). Ils n’ont, évidemment, aucune garantie de retrouver leur travail.
Pour beaucoup, afin de rééquilibrer le système, il faudrait retirer leur privilège aux fonctionnaires et les forcer à démissionner du service public au moment de leur élection. Une telle décision réduirait évidemment le nombre de candidats fonctionnaires aux élections, mais n’inciterait en rien les salariés du privé à s’y présenter. Une bien meilleure solution serait, comme vient de le décider la société Michelin, de garantir à tout salarié élu parlementaire qu’il retrouvera son revenu et son emploi dans la même firme, une fois qu’il aura quitté l’hémicycle.
Bien sûr, un tel mécanisme n’est pas aisé à mettre en œuvre : une entreprise privée peut, au bout d’un ou deux mandats de son salarié, ne pas être en situation de lui offrir un tel avantage ; elle peut même avoir disparu. Mais le nombre de parlementaires concernés à la fin de chaque législature ne dépasserait jamais deux ou trois centaines ; et il n’est pas assez élevé pour qu’il soit impossible d’appuyer sur une garantie publique un tel engagement.
Le Parlement actuel s’honorerait en votant une telle loi, qui, pour une fois, ne servirait aucun intérêt particulier. Elle enlèverait à ces gens, trop nombreux, qui aiment à critiquer les hommes politiques, un prétexte pour ne pas se porter eux-mêmes candidat…
Sans doute faudra-t-il ensuite se poser la question de savoir comment lutter contre les autres déséquilibres dans la représentation nationale, où manquent tant de femmes et de représentants des minorités.
Sans doute faudrait-il aussi se demander pourquoi de plus en plus d’élus, à gauche comme à droite, se préfèrent dans l’opposition, comme l’ont montré les rencontres de La Rochelle et du Touquet, laissant un boulevard aux seuls qui semblent aujourd’hui vouloir du pouvoir, l’extrême droite.
La raison d’être de la politique, c’est de gouverner.