Il n’est nullement dans mon intention de tenter ici de convaincre tous les nostalgiques de la collaboration, tous les antisémites patentés, tous les anti-musulmans déclarés, ni tous ceux qui ne supportent pas de croiser un noir ou un jaune dans un hôpital ou dans une maternité, de ne pas voter Front National. A ceux-là, je dis seulement que je les plains de ne pas connaître les joies de la découverte de la différence, le plaisir d’apprendre de cultures autres que la leur. Je suis même heureux qu’ils existent, parce qu’ils rappellent à ceux qui voudraient l’oublier que le Front National reste un parti accueillant avec sympathie tous les racistes et tous les ennemis de la démocratie.
Mon intention est, plus modestement, de m’adresser ici à ceux, qui, ayant jusqu’ici voté à droite ou à gauche, pour des partis dits « de gouvernement », s’apprêtent à voter Front National, pour l’un des 4 arguments suivants, répétés ad nauseam par les dirigeants et candidats de ce parti :
1/ « Les socialistes et l’UMP, c’est la même chose, et ils ont échoué ». Non, ces deux partis (auxquels il faut ajouter le centre et l’extrême-gauche, qui n’ont jamais été en situation de mettre en œuvre leurs programmes), ne proposent pas du tout la même politique aux Français. Les réformes fiscale et sociale actuelles, par exemple, sont violemment critiquées par l’UMP, qui s’est engagée à les remettre en cause.
2/ « On a tout essayé et cela ne marche pas ». Non, on n’a pas tout essayé, justement. En particulier, bien des réformes absolument vitales restent à faire : celles des collectivités territoriales, de la réduction des dépenses publiques, la TVA dite « sociale », la réforme de la formation professionnelle et de l’alternance, une audacieuse politique de l’intégration, une avancée fédérale en Europe ; et tant d’autres bouleversements, que les partis de gouvernement n’osent faire. Et qui ne sont pas non plus proposés par le Front National.
3/ « Je ne suis pas raciste, mais la cause de tous nos malheurs, c’est l’immigration. Elle explique l’insécurité et le chômage ». D’abord, c’est oublier que la plupart de ceux dont ils parlent ont la nationalité française, parfois depuis plusieurs générations. Et que, sauf à revenir aux lois de Vichy, personne ne peut la leur retirer. Ensuite parce que beaucoup de ces gens-là font justement les travaux que personne d’autre n’accepte. Ensuite aussi parce que, sans une immigration massive, il deviendra vite impossible de financer les retraites. Enfin, parce que le problème, réel, de l’intégrisme religieux serait aggravé par une opposition frontale avec ceux qui s’y réfugient, faute d’un espoir dans la laïcité. Le problème n’est donc pas l’immigration mais l’insuffisance des moyens au service des quartiers et de l’insertion sociale, dans l’école et l’emploi.
4/ « L’euro est la cause de tous nos malheurs. Sans lui, il n’y aurait pas besoin de rigueur budgétaire et la croissance serait de retour ». C’est sûrement l’argument le plus absurde : si on revenait au franc, tous les comptes bancaires de chaque Français, tous les livrets d’épargne, seraient immédiatement renommés dans cette monnaie, qui serait sans attendre dévaluée face à l’euro. Voyant fondre la valeur de leurs dépôts, les épargnants demanderaient tout de suite à ouvrir un compte en euro, pour y remettre tous leurs avoirs, qui auraient déjà perdu une part de leur valeur.
Le franc se dévaluerait alors plus encore. Le taux d’intérêt montera en flèche et les dettes ne pourront plus être finançables. L’abandon de l’euro c’est donc la certitude d’une dévalorisation massive du patrimoine des Français, même les plus modestes, plongeant le pays dans une dépression dont il ne se relèverait jamais. Il faut au contraire plus d’Europe, pour se protéger des excès de la mondialisation.
Vous qui, honnêtement, par désespoir, colère ou défi, vous apprêtez à voter Front National, pensez à ces arguments avant de le faire. Votez n’importe quoi d’autre s’il vous plaît. Blanc même. Mais épargnez au pays la honte d’avoir tourné le dos à toutes les valeurs qui font sa grandeur.