Ce qui se joue chez Peugeot à Aulnay va beaucoup plus loin que la remise en cause de l’avenir de plusieurs milliers de familles : cela dit beaucoup sur la société française, dans toutes ses dimensions. Car tout le monde porte une responsabilité dans cette affaire.
Les propriétaires, qui ont préféré, année après année, retirer des milliards de dividendes plutôt que de confier ces mêmes sommes à des directions assez audacieuses pour investir. Les patrons successifs, qui n’ont pas vu venir les mutations et n’ont pas investi à temps ni dans les transports en commun, ni dans les voitures hybrides, ni dans les voitures électriques, et en particulier pas investi dans des modèles conformes aux besoins du marché français.
Les gouvernements successifs, qui ont préféré subventionner l’achat des modèles décidés par des directions paresseuses plutôt que de consacrer les mêmes sommes à l’innovation, de faire évoluer la réglementation pour inciter les consommateurs à acheter des modèles innovants, pour inciter les marques à les produire et pour faire évoluer la société vers un usage plus large de transports en commun modernes.
Les partis politiques d’opposition, en particulier les écologistes, qui auraient dû faire pression pour ces changements au lieu de perdre leur temps en batailles internes. Les producteurs d’électricité, et d’abord EdF, qui freinent le développement de la batterie nécessaire à la voiture électrique, sous prétexte qu’ils seront bientôt capables d’en fabriquer eux-mêmes.
La Commission à Bruxelles, qui n’a jamais cessé de s’opposer, au nom d’une doctrine de concurrence dépassée, aux concentrations entre fabricants d’automobiles européens, alors les constructeurs américains, japonais et coréens se sont massivement regroupés.
Les consommateurs, qui ne se sont pas, comme ailleurs, sentis concernés par l’emploi, dans leurs achats. Les syndicats, qui n’ont pas non plus poussé aux réformes. Les salariés, qui se crispent sur des emplois dépassés plutôt qu’apprendre de nouvelles compétences, à utiliser dans d’autres firmes.
La crise financière mondiale, évidemment, qui fabrique chaque jour d’avantage une récession majeure.
De tout cela, il faut en tirer toutes les leçons.
D’abord pour que cela n’arrive pas à Renault, en accélérant la distribution de son modèle électrique, déjà largement utilisé dans d’autres pays, mais pas en France. Sous peine de voir Renault fermer ses usines en France et servir le marché français à partir de sa nouvelle usine ultramoderne de Tanger.
Ensuite en mettant en place une législation du travail qui permette de faire en sorte que la formation des salariés en vue de leur conversion soit rémunérée comme un travail, parce qu’elle est socialement utile. Ce qui permettra aux salariés de ne plus avoir peur des changements.
Enfin, en repensant au plus vite la ville, pour donner une place beaucoup plus grande aux transports en commun et aux véhicules écologiques : on ne peut pas à la fois vouloir lutter contre les désordres climatiques et continuer à inciter à utiliser des voitures individuelles ultra-polluantes. On ne peut pas non plus vouloir libérer l’homme de son exploitation et refuser le remplacement des chaines de production par des robots, qui seront de plus en plus nombreux, avec les imprimantes 3D.
Les gens d’Aulnay doivent ainsi être mis en situation de considérer que passer, sans perte de salaire, d’une entreprise endormie à une autre bien plus dynamique et innovante, comme celles qui se proposent déjà de les réemployer, est une bonne nouvelle.
Le rôle de l’Etat dans l’affaire est clair : assurer les conversions sereines des travailleurs, et orienter, par la loi plus que par l’impôt, les entreprises vers l’innovation.
Rien de moins. Rien de plus.