Quand la fille du fondateur de L’Oréal, Madame Liliane Bettencourt, demande que sa tutelle et la gestion de son patrimoine, imposées par un juge, ne soient pas exercées par sa fille Françoise, mais par un seul de ses deux petits fils, Jean-Victor Meyers, ce n’est pas seulement un nouvel épisode dans l’interminable feuilleton qui déchire une des familles les plus riches du monde. C’est aussi une manifestation d’une situation qui concerne bien des gens, quelque soit leur niveau social. Et qui éclaire sur beaucoup de dimensions de nos sociétés.
Aujourd’hui, la génération née dans les années 20 arrive à un très grand âge. Elle est souvent en pleine forme, vit, dépense, voyage. Parfois, elle est atteinte par les effets de maladies dégénératives ; elle perd la mémoire. Beaucoup plus rarement, elle dépense à tort et à travers, dilapide son patrimoine.
Leurs enfants, de la génération du baby-boom, arrivent, eux, maintenant, à l’âge de la retraite. Ils ont fini leurs carrières, parfois avec de très grands succès, mais n’ont toujours pas hérité de leurs parents. Ils s’impatientent. Et même s’ils aiment leurs parents très âgés, ce qui est de plus en plus rare, ils cherchent souvent bien des prétextes pour accélérer le passage des fortunes. Des donations ? Pas suffisant. Une mise sous tutelle ? Nécessaire mais compliqué juridiquement. En finir au plus vite avec la vie de leurs parents ? Certains osent. Des notaires commencent aujourd’hui en effet à s’inquiéter en privé de voir de plus en plus d’enfants âgés demander la mise sous tutelle de leurs parents très âgés ; et plus encore, en cas d’hospitalisation de ces parents, de les voir prétendre détenir une autorisation d’interrompre leurs traitements, en application de la loi Leonetti de 2005, sur les droits des malades et la fin de vie.
Sentant ces menaces venir, inquiètes de se voir poussées vers les maisons de retraite et les hôpitaux, les personnes très âgées se tournent vers leurs petits enfants, qui peuvent mieux les défendre, parce qu’ils ont beaucoup à apprendre de leurs grands parents, parce qu’ils ont moins d’espérance immédiate de succession, et parce que, cyniquement même, ils peuvent espérer que la succession saute une génération, ou au moins bénéficier de la générosité de leurs grands parents.
Naturellement, ce qui précède est une réflexion générale et ne concerne pas la fille et les petits-enfants de Madame Bettencourt, à qui nul ne saurait prêter des pensées aussi noires.
Etrange génération que celle de Mai 68, qui a endetté ses enfants bien au-delà du raisonnable, qui a eu tous les pouvoirs dans sa vie active, et qui veut maintenant tous les patrimoines dans sa retraite.
Telle est une des conséquences les moins bien perçues, planétaire, de l’allongement de l’espérance de vie : l’héritage n’est plus un moyen de commencer dans la vie active. Tout juste un moyen de compléter une retraite. S’il reste quelque chose. A moins de mettre à l’écart les personnes très âgées et de décréter que, passé un certain âge, chacun de nous devra se contenter d’un minimum, décidé par les générations suivantes. Ce qui ne fera que pousser les gens très âgés à partir, avec leur argent, sous des cieux plus hospitaliers.