La tragique histoire de la maison de retraite Les Colombes à Bayonne, dans les Pyrénées-Atlantiques, est très révélatrice du véritable scandale qui structure notre pays, depuis bien longtemps, et auquel personne n’ose même plus penser : Pendant des années, sans que personne ne donne l’alerte, les 16 résidents de ce petit établissement ont été maltraités, au vu et au su de tout le personnel, contraints de vivre dans des conditions d’hygiène indignes, d’ingérer des médicaments périmés, et de se partager 8 repas par jour, pendant que la directrice détournait le prix des autres.
Dans ce beau pays, nous parlons beaucoup de solidarité, nous nous glorifions de notre « modèle social français », parce que nous finançons par nos impôts et nos cotisations sociales ce que nous croyions être notre devoir envers les plus faibles.
En réalité, nous ne sommes pas vraiment solidaires. Nous avons confié à l’Etat le soin de réparer les dommages de la vie, de la maladie à l’accident de travail. Mais notre empathie, notre altruisme, s’est émoussé, remplacé par une bonne conscience fiscale. En réalité, nous ne sommes plus du tout concernés par le sort de ceux dont nous finançons la prise en charge. Nous préférons ne pas les voir, laissant d’autres s’en occuper. Même s’il s’agit de nos proches.
De plus, nous ne vérifions pas nous-mêmes que ces structures publiques, ces gens que nous avons chargé de dépenser nos impôts, sont véritablement efficaces, et humains ; et nous déléguons aussi à d’autres gens, que nous payons pour cela, la responsabilité de contrôler la réalité de notre action sociale.
En nous cachant ainsi derrière des spécialistes chargés d’agir à notre place, nous avons aussi perdu notre capacité de nous révolter : que des personnes âgées puissent rester ainsi pendant des années sans qu’aucune famille ne s’occupe d’elles et sans que des médecins, des infirmières, qui savaient ce qui se passait, ne proteste, démontre l’extrême indifférence qui règne dans notre pays. Même dénoncer aux autorités les turpitudes dont sont victimes les plus faibles semble au dessus de nos forces ; les infirmières de la maison de retraite l’ont bien dit : elles avaient peur pour leur emploi.
Même si beaucoup d’entre nous sont empathiques, et font tout ce qu’ils peuvent pour prendre soin des autres, pas un jour sans qu’on ait un exemple de ce scandale français, où l’indifférence de chacun fait le malheur de tous. Ainsi de ce qui s’est passé lors de la sécheresse de l’été 2003 ; ainsi de ce qui se passe dans tant de maisons de retraite aujourd’hui ; ainsi aussi, pour ne prendre qu’un exemple de cette semaine, du massacre au Raincy de quatre personnes par un voisin que chacun savait violent mais que personne n’a voulu signalé à la police, pour ne pas se mêler des affaires d’autrui.
Une société qui n’est pas loyale avec ses membres les plus fragiles est perdue ; une société qui confie à l’Etat non seulement le soin de protéger les plus faibles, mais aussi celui de les distinguer , de leur parler, de les écouter, de les comprendre, est déjà, qu’elle le veuille ou non, une société totalitaire. Et plus encore, une société qui a perdu la capacité de s’indigner est en fait résignée à ce totalitarisme ; même si s’y maintient, pour un temps, l’apparence de la démocratie.