Quand il m’arrive d’être confronté simultanément à deux problèmes apparemment sans relation l’un avec l’autre, je commence par examiner si, par chance, l’un ne peut pas être la solution de l’autre. Et cela marche, plus souvent qu’on ne le croit.

C’est le cas en particulier pour les deux problèmes urgentissimes du moment pour le monde : la pauvreté, et le réchauffement climatique.

L’urgence de l’un et de l’autre sont évidents ; et beaucoup de gens présentent ces deux problèmes comme contradictoires : Lutter contre la pauvreté supposerait de laisser les pauvres émettre des gaz à effet de serre pour maintenir leur pouvoir d’achat. Lutter contre le réchauffement climatique supposerait de pénaliser les plus pauvres pour les empêcher de polluer.

En réalité, si on veut bien y réfléchir, c’est exactement l’inverse. Et c’est un cas typique de situation dans laquelle la génération d’aujourd’hui a tout intérêt à travailler pour les générations futures : l’altruisme des vivants, mise au profit de ceux qui ne sont pas encore nés serait en fait, une forme d’égoïsme bien compris de nos contemporains. C’est ce que je nomme « l’altruisme rationnel », ou « l’égoïsme intelligent ».

Aujourd’hui en effet, la meilleure façon d’aider les plus pauvres à sortir de la pauvreté n’est pas de leur donner telle ou telle allocation pour leur permettre de payer des moyens de transport plus coûteux : cela ne ferait que les inciter à continuer de polluer. La meilleure façon de les aider est de les mettre en situation de gagner beaucoup mieux leur vie qu’aujourd’hui, en travaillant pour des projets qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre.

Et de tels projets existent en grand nombre. Dans la construction et la rénovation de logements, d’infrastructures routières, de magasins, d’usines, de bâtiments publics ; dans la conception de produits ; dans le recyclage des déchets et des matériaux. Ces investissements sont, par nature, très créateurs d’emploi. Et d’emplois pas toujours très qualifiés, mais bien rémunérés et qui pourraient augmenter significativement le pouvoir d’achat, et le niveau de formation de très nombreux chômeurs ou travailleurs pauvres d’aujourd’hui.

Reste, évidemment à les financer. Ce n’est pas si difficile :

D’abord, il faudrait décider qu’aucun investissement public ou privé ne devrait plus être autorisé s’il ne démontre pas qu’il réduit ou au moins n’augmente pas les émissions de gaz à effet de serre. Ce qui reviendrait à dire que tous les investissements futurs, sans financement nouveau, seraient utiles à l’amélioration du climat. Sans financement nouveau.

Ensuite, il faudrait autoriser, dans une enveloppe extérieure au budget national et aux budgets des collectivités territoriales, des investissements de ce genre. Le mieux serait évidemment de le faire à l’échelle européenne ; soit par une coordination des budgets nationaux (comme on l’a fait dans certaines circonstances, en particulier en 2008), soit en utilisant des véhicules européens ad hoc, comme la BEI, ou comme ceux qu’on a su inventer en 2008, pour sauver les banques européennes du naufrage.

En agissant ainsi, on ferait plus que régler le problème de la pauvreté et du réchauffement climatique. On résoudrait aussi deux autres problèmes, deux autres menaces qui pèsent sur nous :

D’abord, on créerait un outil pour relancer la croissance, d’une façon durable, à un moment où celle-ci va être menacée, en particulier en Europe, par l’inévitable retour d’une récession (sinon une crise) mondiale, qu’aggrave le désordre proprement européen.

Ensuite, on donnerait aux Européens projet qui leur manque tant : s’unir pour une cause qui transcende chaque Etat membre. Et aucune cause n’est plus importante, pour l’Europe, que ces deux-là : la pauvreté et le réchauffement climatique. L’Europe rassemblée se donnerait alors les moyens de permette aux Européens de la fin du 21ème siècle de vivre autrement que dans un enfer et servirait de modèle au monde.

La pauvreté, le réchauffement climatique, le retour de la crise financière, le désarroi européen. Quatre problèmes majeurs, existentiels, qu’on peut résoudre avec une seule décision. Qui dit mieux ?

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