On entend trop à mon goût, depuis quelques temps, et partout dans le monde, un discours remettant en cause l’existence même de valeurs universelles et la nécessité de les défendre. En Turquie, en Russie, en Chine, en Afrique, en Inde, en Iran, et dans bien d’autres pays, des dirigeants expliquent que ces soi-disant valeurs universelles ne sont qu’une expression particulière de la volonté occidentale de dominer économiquement, politiquement, et idéologiquement le monde. Et que, désormais, il doit être clair que chaque nation, chaque culture, devenue indépendante, libérée des jougs coloniaux, doit avoir le droit d’affirmer haut et fort ses propres valeurs, même si elles contredisent celles que l’Occident tenterait d’imposer au monde depuis des siècles, et en particulier depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et tous les textes, protocoles, traités, qui en ont découlé.

Ainsi, sous ce prétexte d’une décolonisation nécessaire, bien des régimes politiques, bien des dictateurs, affirment aujourd’hui haut et fort leur refus d’accorder des droits politiques et sociaux aux femmes, et leur droit de réprimer toute forme de liberté individuelle.

En Occident même, ces droits sont aussi remis en cause, sous prétexte qu’ils auraient été élaborés par des hommes, peu soucieux des droits des femmes ; et parce que le concept même d’ « universalité » serait une insulte faite au droit à la différence, supposé supérieur à tous les autres.

Il est vrai que les valeurs des droits humains ont été peu à peu structurées par des philosophes, des juristes et des hommes politiques néerlandais, anglais, américains et français, avant d’atteindre un statut planétaire après les massacres de la Seconde Guerre Mondiale. Et on ne peut nier que de nombreux droits nouveaux, (en particulier ceux des minorités, des générations futures et ceux de la nature) y sont encore mal pris en compte.

De plus, la défense des droits humains a été, et est encore, largement discrédité par ses défenseurs les plus fervents, qui les piétinent, les violent, les négligent quand il n’est pas dans leur intérêt de les faire valoir, de les protéger, les défendre, les respecter.

De plus, trop souvent, ce corpus de doctrine est maladroitement présenté comme le meilleur de la civilisation occidentale, qui aurait vocation à devenir universelle ; en particulier trop d’Occidentaux mettent en avant en particulier l’origine athénienne de ces valeurs, en oubliant que cette soi-disant démocratie était en réalité censitaire, esclavagiste, pédophile, et hostile aux femmes ; et en oubliant qu’on peut légitimement trouver des précédents démocratiques bien plus crédibles dans certaines pratiques africaines et indiennes, bien antérieures.

Il n’empêche : ces valeurs, construites après des siècles d’experiences, par l’humanité toute entière, constituent un des rares trésors intellectuels communs à tous les humains, immense thésaurus de droits, toujours en mouvement. Il est plus que jamais essentiel de les réaffirmer, défendre, protéger, compléter, partout, et sans condition ni nuance, ni objection. Elles se résument en une phrase simple : chaque être humain a droit à une égale dignité, à un respect de son intégrité physique, culturelle et mentale, et à vivre dans un environnement où sont protégés la liberté politique de chacun et de tous, et les droits des plus faibles, des minorités, et de la nature.

Plus que jamais, il faut revendiquer ces droits pour tous les enfants, toutes les femmes, tous les humains du monde. Il ne faut pas renoncer à combattre, à traduire en justice ceux qui violent ces droits. Où qu’ils soient. C’est à la fois un combat altruiste, et un combat égoïste : si nous renonçons à défendre ces droits où que ce soit, personne ne viendra à notre secours le jour où ils seront menacés chez nous ; et personne n’est à l’abri de ces remises en cause. Défendre les droits des autres, c’est défendre les siens.

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Peinture : « Allégorie de la déclaration des droits de l’Homme » de Jean-Baptiste Regnault (1754-1829).