Ceci est la dernière des plus de mille chroniques publiées dans l’Express, depuis que Denis Jambart, puis Christophe Barbier, m’ont demandé d’en être un des éditorialistes. 20 années rythmées par un défi hebdomadaire : choisir chaque fois le sujet le plus pertinent, le signal faible le plus juste, l’indignation la plus nécessaire, la réforme la plus efficace.
Ces 20 années furent extraordinaires, à mille points de vue. Et elles ne furent pas seulement, comme on veut le faire croire, tragiques et négatives.
Elles furent d’abord formidables pour les médias, et en particulier pour un journal comme l’Express, puisqu’elles furent le moment du plus grand bouleversement depuis plusieurs siècles : on est passé d’une presse toute puissante, ayant le temps et les moyens d’envoyer des journalistes passer plusieurs semaines dans un pays lointain pour un reportage exigeant, à une presse volatile, fragile, incertaine, qui ne survit, pour l’essentiel, que par ses liens avec d’autres médias ou d’autres industries ; mais aussi, pour les meilleurs de ces journaux (c’est-à-dire pour les plus respectueux de l’intelligence de leurs lecteurs) , avec des succès magnifiques et des projets prometteurs.
Ces vingt années furent aussi formidables pour le monde, qui ne ressemblait pas beaucoup à ce qu’il est devenu aujourd’hui : Il était optimiste, émerveillé par tout ce qui s’annonçait ; on attendait tout d’internet ; de la démocratie à l’Est de l’Europe et en Amérique latine. On s’émerveillait de nouveaux artistes et de nouveaux modèles sociaux. Depuis, il y a eu 2001 et 2008. Le terrorisme et la crise financière ; dont nous ne sommes pas encore sortis.
Mais il n’y a pas eu que des mauvaises nouvelles ; et il y encore de formidables raisons d’être optimistes : le monde a pris enfin conscience de deux problèmes majeurs alors négligés : les injustices faites aux femmes et le massacre de la nature.
Cette double prise de conscience a entraîné une mutation plus importante encore : désormais, le monde pense de plus en plus aux enjeux du long terme. Les générations d’aujourd’hui ont compris qu’elles ne sont rien sans celles de demain. Et qu’on ne peut compter sur la seule science, aussi essentielle qu’elle soit, pour apporter toutes les réponses. Il faudra aussi agir, ne pas se contenter d’être optimiste, ou pessimiste, mais devenir un acteur engagé du monde. Un acteur positif. A quelque endroit qu’on se trouve.
Ce changement de paradigme, s’il se confirme, est une bonne nouvelle.
Dans 20 ans, le monde peut être beaucoup plus pacifique, beaucoup plus heureux, beaucoup plus juste, beaucoup plus durable qu’il ne l’est aujourd’hui. La science, si elle est bien financée aura pu apporter des réponses à des problèmes aujourd’hui angoissants : le réchauffement climatique, le manque d’eau, certaines maladies aujourd’hui incurables.
Pour que tout le monde profite de ces découvertes, la sagesse des hommes aura pu les conduire à mettre en place quelque chose comme une gouvernance mondiale, en charge des enjeux communs de l’humanité, qui inciterait chacun à se comporter d’une façon utile aux générations futures, et à trouver la meilleure façon de devenir soi.
On verra alors surgir de nouveaux enjeux, qui occuperont bientôt tout l’espace médiatique et politique, sur la planète entière. Et d’abord, celui si essentiel et trop longtemps négligé : le sort des enfants. Comment leur éviter toutes les formes, aussi insignifiantes semblent-elles à certains, de maltraitance ? Comment leur donner, à tous, une vraie enfance ? Comment leur enseigner les valeurs de l’altruisme, de la fraternité en même temps que celle de la découverte de soi ? comment leur donner à tous une éducation digne de ce nom ? Quelle place leur donner dans la société ? Dans quel monde les ferons-nous vivre ?
Si nous prenons ce nouveau combat très au sérieux, le monde sera magnifique. Et ce n’est pas avoir une vision irénique de l’avenir que de le penser. Cela dépend de nous.
La presse y jouera un rôle majeur. En attachant plus d’importance aux comportements exemplaires qu’aux péripéties sentimentales de vedettes éphémères et aux compétitions dérisoires de gens de pouvoir vite oubliés.
Vivement demain !