Dix ans après la faillite de la Banque Lehman Brothers et la grande crise financière dont elle fut l’évènement phare, le monde en a-t-il tiré les leçons ?
En partie, oui. D’abord parce que les banques occidentales ne sont plus aussi fragiles qu’elles l’étaient alors, obligées qu’elles sont désormais de disposer de réserves beaucoup plus importantes. Et aussi parce que, grâce à des politiques budgétaires très laxistes et des taux d’intérêt très bas, la croissance mondiale semble revenue (sauf dans certains pays, dont la France).
Pourtant rien n’est encore vraiment réglé. Les Etats-Unis mènent une politique financière plus folle que jamais. Ailleurs, dans le monde, les entreprises, les particuliers et les Etats ont des taux d’endettement sans précèdent. Et si les banques sont plus prudentes qu’avant 2007, d’autres investisseurs les ont remplacées dans la prise de risque avec, pour l’instant, des profits considérables. De plus, alors que, en 2008, une extraordinaire coordination des dirigeants s’était immédiatement mise en place, on assiste aujourd’hui à des postures beaucoup plus égoïstes, qui ne peuvent que rendre plus difficile une action collective, si elle devenait nécessaire face à une nouvelle secousse.
Et, une telle secousse aura lieu. De fait, l’édifice économique et social mondial est plus fragile que jamais et commence à branler. Les cours boursiers de certaines grandes entreprises connaissent des mouvements de plus en plus erratiques ; des entreprises emblématiques trouvent de plus en plus difficilement un financement.
A cela s’ajoutent deux nouvelles préoccupations, pratiquement absentes du débat public il y a dix ans : D’une part, on assiste à une prise de conscience de l’aggravation extraordinaire de la concentration des richesses en un très petit nombre de mains. Et d’autre part le débat s’est partout largement déplacé de la crise économique à la crise écologique.
Or, à moins de changement radicalement de modèle de société la résolution de ces problèmes est antinomique : pour réduire les dettes et le chômage, il faudrait plus de croissance, alors que, dans l’état actuel des rapports de forces et des moyens de production, la croissance aggrave la concentration des richesses et amplifie les emissions de gaz à effet de serre.
Aussi, pour régler tous ces problèmes à la fois, il faudrait changer profondément d’organisation sociale et politique et tenir compte des enjeux du long terme. Or, à moins de transformer la planète en une juxtaposition de Corée du Nord, la seule façon d’y parvenir serait de le faire à l’échelle mondiale.
Il est urgent de prendre conscience de ces enjeux : il ne faut pas moins de mondialisation, mais plus de mondialisation. Pas moins d’Europe mais plus d’Europe. Une mondialisation politique, fondée sur une harmonisation fiscale planétaire et des normes écologiques rigoureuses pour tous, qui s’imposerait face aux marchés. Une Europe plus politique, fondée sur une solidarité nouvelle en termes de défense, de sécurité, de justice sociale, et d’environnement. Et qui, là aussi, s’imposerait face à l’Europe de la concurrence, véritable fossoyeur de l’industrie et de la recherche européennes.
De tout cela, on est très loin. De tous les héritages de la chute de Lehman Brothers, c’est sans doute le plus inquiétant : le monde se fragmente quand il devrait se rassembler.
Les plus riches en seront les seuls bénéficiaires : eux, ils s’en tirent toujours. Les plus faibles en seront les victimes : après avoir, une fois de plus, applaudi à des billevesées nationalistes et xénophobes, venues de l’extrême gauche ou de l’extrême droite, ils comprendront à quel désastre tout cela les conduira.
Trop tôt ? Trop tard ? Nul encore ne le sait.
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